Maps to the Stars
Canada, 2014
De David Cronenberg
Avec : John Cusack, Julianne Moore, Robert Pattinson, Mia Wasikowska
Sortie : 21/05/2014
A Hollywood, la ville des rêves, se télescopent les étoiles : Benjie, 13 ans et déjà star; son père, Sanford Weiss, auteur à succès et coach des célébrités; sa cliente, la belle Havana Segrand, qu’il aide à se réaliser en tant que femme et actrice. La capitale du Cinéma promet aussi le bonheur sur pellicule et papier glacé à ceux qui tentent de rejoindre les étoiles: Agatha, une jeune fille devenue, à peine débarquée, l’assistante d’Havana et le séduisant chauffeur de limousine avec lequel elle se lie, Jerome Fontana, qui aspire à la célébrité. Mais alors, pourquoi dit-on qu’Hollywood est la ville des vices et des névroses, des incestes et des jalousies ? La ville des rêves fait revivre les fantômes et promet surtout le déchainement des pulsions et l’odeur du sang...
DES HOMMES ET DES DIEUX
Maps to the Stars s’ouvre sur un générique où l’on parcourt une carte des étoiles, de constellations en planètes. En un basculement trivial, la carte des étoiles parcourue au début de Maps to the Stars devient celle qui mène aux maisons de stars de Beverly Hills. L’héroïne (Mia Wasikowska) vient dit-elle de Saturne. Et on la croit : nous sommes chez David Cronenberg, cinéaste des faux semblants et de l’illusion, qui s’infiltre dans l’usine à imaginaire la plus populaire du monde - Hollywood. On se poste rapidement devant les lettres géantes et majestueuses posées sur le Mont Lee, celles-là mêmes qui ont servi de tremplin à Peg Entwistle, starlette déçue qui dans les années 30 s’y suicida. Maps to the Stars est peuplé des fantômes et mythes du Hollywood d’hier, les actrices-stars y meurent dans un grand incendie comme Linda Darnell accrochée à sa poignée de porte et l’on a parfois le sentiment de tourner les pages du Hollywood Babylone raconté par Kenneth Anger.
A mesure que Existenz progressait, on était de plus en plus immergé dans une réalité virtuelle. Maps to the Stars ne prend pas ce chemin : les films passent à la télé, on aperçoit le tournage d’une scène sur un plateau, mais pas plus, les fantaisies du cinéma et le monde « réel » semblent bien séparées. Le cinéma est ici une industrie concrète, Maps… n’est pas avare en name-dropping, évoquant Drew et la drogue, Harvey et ses prods, et l’on est fort circonspect lorsqu’on apprend qu’un rôle est confié... à Anne Hathaway. L’épure de la mise en scène de Cronenberg poursuit le geste entamé par ses récents films. Le silence qui règne autour des personnages dans Maps… rappelle le tombeau roulant de Cosmopolis. Pas un hasard puisque nous sommes ici dans un monde assez morbide, incestueux, replié sur lui-même, où l’on sirote par vanité un cocktail au bar du coin designé par Philippe Starck avant d’aller gober quelques sushis au Nobu. L’inox blanc des pissotières dans lesquelles l’un des personnages dégobille est lui glacial.
C’est d’une baignoire tout aussi froide que sort le premier fantôme de Maps to the Stars. Il vient tourmenter une star vieillissante (Julianne Moore, délaissée depuis des années par le cinéma et qui retrouve enfin un grand rôle à sa mesure). Celle-ci porte trop de gloss et rêve d’un Oscar, quand bien même il ne s’agirait que d’une statuette du meilleur second rôle. Le compositeur Howard Shore semble singer les orgues lugubres d’Angelo Badalamenti – nous sommes à deux pas de Mulholland Drive. En un clin d’œil malicieux, Cronenberg cite Mommy Dearest, chef d’œuvre du nanar camp sur la grandeur et décadence de Joan Crawford doublé par la grandeur et décadence de sa propre interprète, Faye Dunaway. Les personnages féminins de Maps… sont complexes et puissants, comme souvent chez le réalisateur canadien (Chromosome 3, Crash, Existenz). Ce sont elles qui deviennent mythiques dans le film, par leur histoire et leur motivation (Wasikowska) ou par leur dénouement (Moore).
Ce qui les rassemble est l’un des thèmes récurrents de l’œuvre de Cronenberg : la séparation quasi-schizophrène entre l’image et l’identité. Hollywood est évidemment le terrain de jeu idéal pour un tel sujet. Cronenberg s’ajoute à cette lignée de grands films sur un Hollywood brisé, de Sunset Boulevard à Qu’est-il arrivé à Baby Jane en passant par Mulholland Dr ou le plus récent et miniature The Canyons. Avec son style propre, moins mélodramatique – le film n’est pas très émouvant – mais avec une étrangeté clinique assez fascinante. Pour cela, Cronenberg n’a pas eu peur de se salir les doigts avec des rebondissements juteux parfois échappés d’un épisode de Sunset Beach, contrairement à des auteurs plus frileux qui ne savent qu’auteuriser. Ce mélange de froideur et de vulgarité et l’une des singularités de ce règlement de compte mythologique déguisé en ensorcelant conte de cinéma.